Le vieillissement de la population comporte de nombreux enjeux et la toxicomanie chez les personnes aînées pourrait bien entrainer une crise de santé publique. De concert avec le Certificat en toxicomanie offert entièrement en ligne par l’Université de Moncton, la Formation continue a présenté un webinaire intitulé « Aînés et toxicomanie : État des connaissances et enjeux d’une crise de santé publique à venir ». La conférencière, Catherine Bigonnesse, y a brossé un portrait des personnes aînées et de la toxicomanie et elle a exploré les causes et les conséquences uniques à cette population en lien avec l’abus de certaines substances. Quelques stratégies et pistes de solutions ont ensuite été discutées pour mieux accompagner et intervenir auprès de cette population.
Le Canada vit un vieillissement accéléré de sa population et cette tendance s’avère encore plus frappante au Nouveau-Brunswick. La situation y est accentuée par plusieurs facteurs comme l’accroissement naturel négatif, la migration des jeunes hors province, ainsi que le nombre grandissant de baby-boomers qui atteignent 65 ans. D’ailleurs, les projections démographiques indiquent que les 65 ans et plus formeront 31,3 % de la population néo-brunswickoise en 2038, comparativement à 24,1 % pour la moyenne canadienne.
Mme Bigonnesse a déploré l’absence de données canadiennes sur les questions reliées aux personnes aînées et la toxicomanie, mais elle a établi un parallèle avec des données américaines. En 2016, 5,3 % des 65 ans et plus aux États-Unis consommaient des substances psychotiques illégales. Ce taux était presque doublé, soit 10,3 % chez les 60 à 64 ans et près du triple chez les 55 à 59 ans (15 %).
Alors, si cette proportion de 15 % des 55 à 59 ans américains était transposée en chiffres absolus à la population canadienne, plus de 1 545 000 personnes consomment des substances illégales dans cette tranche d’âge au pays. « Au Nouveau-Brunswick, ce serait 35 598 personnes, soit plus que la population complète de Dieppe ou celle de Bathurst », a-t-elle avancé. Ces chiffres offrent donc un aperçu de l’ampleur de l’enjeu à venir au cours des prochaines années pour l’intervention en toxicomanie chez les personnes aînées.
La transition et les défis du vieillissement
À l’âge de la retraite, les gens vivent un changement de routine, un nouveau rôle social et des changements concernant les ressources financières. Plusieurs deviennent proches aidants, subissent la perte d’un être cher ou font face aux changements de capacité ou à des pertes d’autonomie. Toutes ces transitions importantes peuvent entrainer du stress et des défis psychologiques à résoudre. « Si la personne a déjà tendance à faire l’utilisation de substances quand elle était plus jeune, le risque de tomber dans cette vieille façon de faire est plus élevé », a-t-elle affirmé.
Selon Mme Bigonnesse, un des défis particuliers de la toxicomanie chez les personnes aînées s’avère l’âgisme des professionnelles et professionnels de la santé. Comme ces gens ne songent pas à la toxicomanie au moment du diagnostic, ils sous-estiment donc les troubles d’abus. De plus, des changements métaboliques liés au vieillissement peuvent, par exemple, modifier le seuil de tolérance ou les effets de plusieurs substances. Aussi, certains troubles cognitifs et la dépression peuvent présenter des symptômes similaires à des troubles de dépendance.
L’abus des médicaments, un enjeu majeur
La consommation de médicaments sur ordonnance augmente naturellement chez les personnes plus âgées en raison de l’augmentation de problèmes de santé chronique ou encore de la gravité des incapacités. Saviez-vous toutefois que plus du quart des personnes aînées consomment plus de dix types de médicaments sur ordonnance en même temps ? Cette polypharmacie augmente les risques de réactions indésirables, d’empoisonnement et de décès.
L’abus des médicaments se définit quant à lui avec une consommation excessive d’un médicament prescrit avec une tolérance au médicament ainsi que des symptômes de sevrage si une dose est omise. Obtenir une même ordonnance dans plus de trois pharmacies ou auprès de plusieurs professionnelles ou professionnels de la santé forme également un indicateur d’abus de médicaments.
Une crise des opioïdes chez les personnes aînées
Souvent nommé une épidémie silencieuse, l’abus des opioïdes s’avère de plus en plus prévalent chez les personnes aînées. En 2016, 19,3 % des personnes aînées utilisaient des analgésiques opioïdes et cette consommation augmente en outre les risques de chutes, de détresse respiratoire, d’interactions médicamenteuses, etc.
« Cinquante-cinq pour cent des Canadiennes et Canadiens admis pour empoissonnement accidentels par opioïdes sont des personnes aînées. On parle beaucoup des jeunes qui meurent par fentanyl ou de la crise des opioïdes, mais les personnes aînées sont plus à risque. Nous avons vraiment une crise à ce niveau à gérer au Canada », a-t-elle souligné.
Le webinaire s’est également attardé à l’abus d’alcool chez les personnes aînées, sa prévalence et ses impacts sur la santé puisqu’il s’agit du problème de dépendance le plus commun après le tabac. La conférencière a également discuté de l’abus du cannabis, malgré l’absence relative de données à ce sujet. L’Enquête nationale sur le cannabis de Statistique Canada en 2019 révèle toutefois que les personnes aînées affichent la plus forte croissance en matière de consommation de cannabis comparativement aux autres groupes d’âge.
De même, la quasi-absence de données sur la consommation de substances illégales comme la cocaïne, la méthamphétamine ou l’héroïne rendent difficile l’obtention d’un portrait clair de la situation, particulièrement chez les personnes aînées. « Mais nous aurons une vague de futures personnes aînées qui ont des habitudes de consommation », a-t-elle averti.
Quelques pistes d’intervention
Selon Catherine Bigonnesse, les personnes aînées avec des troubles de consommation ont moins tendance à avoir recours à des traitements ou à considérer qu’elles ont besoin d’un traitement. Toutefois, elles connaissent un plus haut taux de succès de traitements et d’intervention. Elles sont motivées par un désir de limiter les effets négatifs sur leur santé pour prolonger leur autonomie et leur indépendance ou encore par la capacité de redévelopper des liens familiaux ou avec des proches.
Les thérapies brèves et les thérapies cognitives-comportementales, ainsi que la réduction des méfaits, semblent présenter un certain succès. La conférencière a également souligné l’importance de favoriser une approche multidisciplinaire et de soins intégrés en raison de la polypharmacie et les problèmes de santé chroniques et complexes.
« Il faut aussi prendre en considération les besoins liés à l’âge comme l’accessibilité physique des lieux de traitement ou des groupes de thérapie formés de gens du même âge », a-t-elle ajouté.
Pour en connaitre plus long sur ce sujet, écoutez gratuitement le webinaire ici. Approfondissez davantage vos compétences en vous inscrivant au Certificat sur les Toxicomanies offert par l’Université de Moncton : Certificat sur les toxicomanies | Certificat sur les toxicomanies (umoncton.ca)
Catherine Bigonnesse est travailleuse sociale de formation spécialisée dans le domaine du vieillissement. Elle détient une maîtrise en travail social de l’Université de Sherbrooke au Québec et un doctorat en gérontologie de Simon Fraser University en Colombie-Britannique. Elle est présentement chercheuse postdoctorale au Centre d’études du vieillissement et chargée de cours à l’École de travail social de l’Université de Moncton. Elle a contribué au développement du cours Personnes âgées et toxicomanie, disponible dans le cadre du Certificat en toxicomanie offert par l’Université de Moncton.