Département de philosophie
Philosophie et société
Ernest-Marie
M
bonda
Le lien entre la philosophie et la société n’est pas
nécessairement ce qui saute aux yeux quand on se
présente comme philosophe ou professeur de philoso-
phie. Ce que le commun des citoyens « sait » de la
philosophie, c’est son caractère déconnecté de ce
monde, inaccessible, amusant pour celles et ceux qui se
plaisent dans les jeux et les joutes rhétoriques, fascinant
pour celles et ceux qui se laissent impressionner par les
élucubrations métaphysiques, mais complètement
inutile quand il s’agit de prendre en charge les « vrais »
problèmes ou les problèmes « réels » de la société.
C’est une image qui est aussi vieille que la philosophie
elle-même, à laquelle celle-ci prête nécessairement le
flanc, parce que l’effort de pensée critique, approfondie
et rigoureuse n’est pas nécessairement celui auquel on
se livre spontanément, notamment lorsque l’on croit
avoir à sa portée des « réponses » évidentes et efficaces
pour résoudre les problèmes face auxquels notre vie
nous place. Socrate prenait ses distances par rapport
aux manières convenues de penser, de croire, de définir
le bien et le juste dans la vie privée comme dans la vie
publique, en montrant en même temps que c’est par
cette distance qu’il réalisait le mieux sa présence dans
la société. Platon, le grand « métaphysicien » d’après
l’image que d’aucuns en retiennent, enjoignait le
philosophe déjà parvenu au sommet de son ascension
vers la connaissance du Bien, du Vrai et du Juste, de
retourner dans la « caverne », dans la société, pour aider
les autres à accéder à la même connaissance pour agir
en conséquence, bien qu’il sût que le langage de la
vérité était inaudible pour celles et ceux qui sont
habitués à prendre les ombres et les rêves pour la
réalité.
Les philosophes n’ont jamais dit que leur « royaume
n’était pas de ce monde » et qu’il y avait plus de charme,
de sérénité et de sécurité dans la spéculation que dans
la pensée du social ou dans l’action elle-même. La
présence de la philosophie dans la société est donc à la
fois discrète et visible. Elle s’exerce subtilement par la
médiation des étudiantes et étudiants qu’elle initie à la
réflexion critique dans le cadre des différents cours
qu’offre le Département de philosophie, et qui sont
« marqués » non seulement par quelques souvenirs
fugaces de sentences célèbres des philosophes, mais
aussi, et sans doute surtout, par l’exigence de pensée
rigoureuse dont le déficit explique une bonne partie des
tragédies de notre temps.
Cette présence s’exerce aussi de plus en plus par le
« tournant pratique » que prend la philosophie dans un
certain nombre d’institutions universitaires et qui se
traduit par la mise en place de nouveaux programmes
orientés vers l’éthique. C’est dans cette dynamique que
s’inscrit la nouvelle mineure en éthique appliquée qui a
été lancée au Département de philosophie à l’automne
2017 et qui est appelée à se développer encore plus
pour renforcer la présence et l’expertise de la philoso-
phie à l’université et dans la société. Ce programme
offre la possibilité de bénéficier d’une véritable com-
pétence en éthique, parce qu’il donne l’occasion de
mieux comprendre les nombreuses questions éthiques
qui se multiplient aujourd’hui dans pratiquement tous
les domaines de la société (scientifique, politique,
économique, social, religieux, environnemental, etc.) et
de contribuer à y trouver des solutions.
La présence de la philosophie dans la société se fait
aussi, au-delà de la formation, par son implication dans
l’analyse de questions éthiques soulevées par certains
grands projets comme pour le cas de l’exploitation
minière. Ibrahim Ouattara, par exemple, participe depuis
deux ans à la définition d’un cadre éthique adéquat pour
l’exploitation de l’or au Mali et y consacrera d’ailleurs
ses activités de recherche durant son congé sabbatique
prévu en 2018-2019. Un « supplément d’âme » dans un
univers où, « éblouis » par l’or, les acteurs sociaux,
économiques et politiques ne sont pas toujours attentifs
aux enjeux éthiques et environnementaux de leurs
activités.
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