LIAISONS no 2 Février 2018 - page 18

Les criminologuesœuvrant auprès des personnes
judiciarisées sont-ils des agents de changement?
Marie-Andrée
P
elland
L
e 12 septembre 2017, les professeures et professeurs de criminologie du Département de sociologie et de
criminologie organisaient, en partenariat avec le comité des jeunes professionnels francophones du Service
correctionnel du Canada (SCC), une première journée d’étude, qui a notamment permis d’explorer plusieurs
thématiques dont celle du désistement, soit le parcours vers l’arrêt de la carrière criminelle et les défis et les
enjeux de l’intervention auprès d’une population autochtone judiciarisée au Canada. À travers chacune des
présentations offertes, un questionnement est ressurgi comme important : « Est-ce possible pour le
professionnel du SCC d’accompagner la personne judiciarisée dans un possible processus de
transformation qui peut la conduire à adopter un style de vie exempt de conduite délictuelle? » Cette question
est importante. Elle engage toutefois la compréhension de deux thématiques : celles des connaissances
disponibles sur les éléments qui favorisent l’engagement dans un processus de transformation et celle de la
compréhension du rôle des professionnels œuvrant auprès de cette population.
L
a recherche criminologique récente permet de constater que l’engagement dans un processus de
changement de style de vie peut être rendu possible soit par la présence de conditions structurelles
spécifiques, soit par l’agentivité de la personne judiciarisée. Ainsi, pour certains, le changement survient
grâce à une relation amoureuse avec une personne prosociale, grâce à l’engagement dans un programme
d’études ou dans un emploi stimulant. Ces liens sociaux permettent de structurer le quotidien, de côtoyer
des modèles aux valeurs prosociales et de se construire progressivement une identité non délinquante. Pour
d’autres, le processus de transformation est initié et maintenu non pas par un contrôle externe, mais par une
décision intérieure entamée par l’expérience d’un moment marquant par la personne judiciarisée. L’individu
se décrit donc comme motivé à modifier sa conduite, ses pensées et son identité. Il arrive ainsi à se
construire un discours dit de rédemption qui explique la distinction entre sa conduite criminelle et la personne
qu’il est aujourd’hui. Ce discours, lorsque crédible, facilite l’insertion sociale des personnes judiciarisées.
Malgré ces connaissances, il est toujours difficile de reconnaître le moment propice à l’engagement dans un
processus de changement et les conditions précises qui favorisent pour chacun l’entrée dans ce processus
de changement à un moment particulier de sa trajectoire de vie.
L
es discussions avec les professionnels nous ont permis de comprendre qu’ils peuvent reconnaître ces
moments charnières qui permettent le changement, mais ils reconnaissent peu leur rôle dans ce processus.
Ils conceptualisent plutôt leur rôle comme duel oscillant entre le contrôle social et la gestion de cas. Ils
reconnaissent qu’une partie de leur travail consiste donc à assurer la sécurité du public en veillant au respect
des conditions imposées par la Cour tout au long de la sentence de la personne. Ils conviennent également
que leur rôle de gestionnaire de la réinsertion sociale consiste à reconnaître des programmes auxquels
pourraient participer les personnes judiciarisées afin de favoriser leur éloignement d’un mode de vie criminel
(par exemple, un programme de traitement des dépendances). Ainsi, la professionnelle ou le professionnel
travaille en collaboration avec la personne judiciarisée pour s’assurer principalement du maintien de la
motivation à participer à ces programmes, mais ils ont un rôle secondaire dans le processus de changement
vers un mode de vie prosocial. Toutefois, les professionnelles et professionnels qui assurent cette gestion de
l’incarcération reconnaissent que leur relation de proximité avec les personnes judiciarisées leur permettrait
de discuter de ce processus lors de leurs rencontres et de soutenir la personne judiciarisée, le cas échéant,
dans la mise en action d’un processus de changement. Ils notent toutefois que pour accompagner les
personnes dans une réflexion ou une transformation de leurs schèmes de pensées procriminels, de leurs
valeurs et de leur identité délinquante, ils doivent être formés sur ces questions et ces processus. La
formation de base en criminologie et la formation continue sont des éléments essentiels à la
professionnalisation de ce rôle d’agent de changement au SCC. La journée d’étude fut donc riche en
réflexion et elle connaîtra donc une deuxième édition.
Département de sociologie et de criminologie
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