La tolérance : enjeux contemporains
Paul Bernier
Malgré son caractère paradoxal, la tolérance occupe une place de plus en plus centrale dans les débats contemporains
sur les valeurs, compte tenu du pluralisme des sociétés démocratiques et de l’importance des enjeux internationaux
dans un contexte de globalisation. Elle semble même constituer une valeur émergente : n’enseigne-t-on pas
aujourd’hui aux enfants à être tolérants envers des personnes dont les idées et les comportements s’écartent de la
norme? Il semble que c’est au nom de valeurs plus importantes et plus englobantes qu’on devrait tolérer certaines
déviations de la norme, déviations qui seraient moins importantes et moins englobantes que ces valeurs. La tolérance
constituerait un rempart contre la discrimination. Mais est-ce vraiment le cas? La tolérance n’entraîne-t-elle pas plutôt
des discriminations plus troublantes que celles qu’elle vise à contrer? Dans leurs présentations respectives, la
conférencière et les conférenciers étaient d’accord sur au moins un point décisif : contrairement à ce qu’on peut être
tenté de penser a priori, il n’est pas du tout évident que la tolérance soit une valeur qui doit être promue afin de favoriser
la paix, l’harmonie, la justice et l’égalité, car cette notion soulève des problèmes épineux.
Christian Nadeau fait valoir qu’une conception cohérente de la tolérance implique un rapport de domination entre,
d’une part, ceux et celles qui sont en position de tolérer des idées et pratiques divergentes de la norme et, d’autre part,
ceux et celles dont les idées et pratiques doivent être tolérées. De ce fait, la tolérance ne serait pas un rempart contre
la discrimination, mais entraînerait, au contraire, la discrimination, comme Herbert Marcuse l’avait d’ailleurs déjà fait
remarquer. Ernest-Marie Mbonda s’attaque au concept de tolérance tel que suggéré par John Rawls dans le contexte
des relations internationales. Là encore, la relation entre tolérant et toléré implique un rapport de dominant et dominé.
Selon le point de vue rawlsien, certaines idées et pratiques qu’on trouve dans des sociétés non libérales peuvent être
tolérées, à condition qu’elles ne soient pas « barbares » et qu’elles soient « décentes » en un sens précisé par Rawls.
Mais, dans ce cas, la tolérance semble avoir un intérêt purement instrumental, comme moyen de pouvoir ni plus ni
moins convertir ces sociétés aux valeurs libérales, valeurs vers lesquelles toutes les sociétés humaines devraient
tendre. Julie Saada met également en évidence les tensions aporétiques de la notion de tolérance, notamment en
faisant remarquer que les personnes qui sont dans une position de tolérer doivent également valider la norme dont
s’écarte ce qui est toléré. Face à ces problèmes, Christian Nadeau suggère de remplacer la notion de tolérance par
celle de solidarité. Julie Saada pour sa part propose qu’on préserve la tolérance en tant que concept régulateur, soit
comme valeur permettant d’arbitrer le débat social sur des valeurs en transformation. Vivement appréciée de
l’auditoire, cette table ronde a suscité une longue et fructueuse discussion.
Département de philosophie
Une table ronde, tenue le 2 décembre 2016, fut
l’occasion de repenser la notion de tolérance, qui est
devenue l’une des plus centrales de la réflexion éthique
et politique contemporaine. Étymologiquement, tolérer
signifie « supporter » une idée, une croyance, une
pratique, en somme toute chose s’écartant de ce qui est
couramment admis dans une communauté. La tolérance
renferme l’idée de la réprobation et de l’acceptation. Quel
que soit le domaine considéré, l’enjeu principal se
ramène à la problématique de la différence et de l’altérité.
La photo fait voir les trois conférenciers, de gauche à droite : Julie Saada, professeure à Sciences Po Paris; Ernest-Marie Mbonda, professeur
temporaire au Département de philosophie de l’Université de Moncton; Christian Nadeau, professeur au Département de philosophie de
l’Université de Montréal
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