LIAISONS no 3 Février 2019 - page 7

6
L i a i s o n s
Mon intérêt pour Germaine Guèvremont
remonte à ma toute première lecture du
Cycle du Survenant (
En pleine terre
, 1942;
Le Survenant
, 1945;
Marie-Didace
, 1947).
J’ai remarqué l’importance d’un effet de
style que j’ai nommé
venance
, soit les
rapprochements entre les noms du
personnage central (« Survenant »,
« Venant ») et les variations lexicales du
verbe « venir ». La
venance
joue un rôle de
premier plan à presque tous les niveaux du
cycle. Elle est d'abord un effet stylistique et
sonore. Les lexies de même famille,
heurtées, « sonnent ». La
venance
, née de
la répétition, de la résonance, est
allitération, isolexisme : «
Venant vint
sur le
point d'ajouter [...]
1
» (
Le Survenant
, p. 26);
« la première voiture
à revenir
au chenal
après la grande messe ramena le
Survenant
» (
Le Survenant
, p. 62); «
À
l'avenir
, tâche donc de te comporter
comme un homme,
Survenant
» (
Le
Survenant
, p. 90); « Tu nieras toujours pas
que le
Survenant
était
prévenant
comme on
en voit rarement? » (
Marie-Didace
, p. 168).
La
venance
lie l’étranger aux autres
personnages et les transforme en une série
de variations. Le Survenant est ainsi un
double d’Éphrem, le fils mort dans le
premier volume, et donc un
revenant
.
Guèvremont, lors de l’épisode du 23
octobre 1962 du radioroman
Le Survenant
,
souligne ce rapprochement dans une
réplique de Venant : « Oui un
survenant
pour les gens du Chenal du Moine. Mais...
mais (
s’amuse à apeurer Phonsine
)... qui
t’dit que je ne suis pas plutôt... un...
revenant
. Oui un
revenant
... ». La bru,
Phonsine, dans
En pleine terre
, est
désignée comme une «
survenante
».
Didace, s’identifiant à Venant, devient le
redevenant
: « Une grosse joie bouillonnait
en lui avec son sang
redevenu
riche et
ardent. Sa face terreuse sillonnée par l'âge,
ses forces en déclin, son vieux cœur
labouré d'inquiétude? Un mauvais rêve. Il
retrouvait sa jeune force intacte : Didace, fils de Didace,
vient
de prendre possession de la terre » (
Le Survenant
, p. 73). Le
double le plus accompli est toutefois Blanche, l’Acayenne
qu’on surnommera, elle aussi, la « survenante ». Autre, et
pourtant similaire au Survenant, elle constitue une véritable
personnification de la variation en raison de son nom de
famille, Varieur. La
venance
montre l’importance de la variation
dans l’imaginaire de Guèvremont et dans son œuvre. L’auteure,
du reste, réécrit davantage qu’elle n’écrit et le cycle littéraire
est le véhicule de ces variations. Elle écrira ainsi des variations
radiophoniques et télévisuelles de ses œuvres.
Ma réflexion serait sans doute demeurée au niveau formel si,
en 2005, je n’avais pas fait passer un entrefilet dans un journal
local afin de demander aux Sorelois qui possèderaient de
vieilles copies du
Courrier de Sorel
(où Guèvremont avait publié
des premières versions de ses nouvelles) de se manifester. Si je
n’ai retrouvé aucun des exemplaires disparus, j’ai toutefois
reçu un courriel d’une Soreloise : « Saviez-vous que Germaine
Guèvremont possède un point commun avec Vincent Van
Gogh, Camille Claudel, James Barrie (l’auteur de
Peter Pan
) et
bien d’autres? En effet, elle est une enfant de remplacement.
Elle naquit en avril 1893, mais avant elle, était née en 1891 et
décédée un an plus tard, une sœur portant le même prénom :
Germaine. » Travaillant à une poétique de la variation, j’appre-
nais que Guèvremont était elle-même une variation. La ques-
tion de l’enfant de remplacement m’a, depuis, permis de mieux
comprendre l’obsession de l’auteure pour la variation.
Département d’études françaises
Venance
et variation chez Germaine Guèvremont
David
D
écarie
1
Les citations proviennent de l’édition suivante : Germaine Guèvremont,
Le cycle du Survenant I : En pleine
terre
,
Le Survenant, Marie-Didace,
David Décarie et Lori Saint-Martin (édition critique et présentation),
Montréal, Presses de l’Université de Montréal, 2017.
David Décarie est professeur au Département d’études françaises. En collaboration avec Lori Saint-Martin
(UQAM), il travaille à la publication des œuvres complètes de Germaine Guèvremont sous forme d’éditions
critiques. Deux volumes ont paru aux Presses de l’Université de Montréal :
Le Cycle du Survenant I
(2017);
Tu
seras journaliste et autres textes sur le journalisme
(2013). Il termine un essai,
Le rêve de Phonsine, poétiques du
deuil, du secret et de la variation chez Germaine Guèvremont
, à paraître chez le même éditeur.
1,2,3,4,5,6 8,9,10,11,12,13,14,15,16,17,...24
Powered by FlippingBook