LIAISONS no 3 Février 2019 - page 10

Département d’histoire et de géographie
Depuis près de 15 ans, mes recherches principales
concernent le génocide des Arméniens de l’Empire ottoman
(1915-1916). Cet événement-catastrophe a fait plus d’un
million de victimes civiles et il est considéré aujourd’hui
comme un des premiers génocides du XX
e
siècle. D’emblée,
un constat s’impose : s’engager dans un programme de
recherche sur cet objet d’étude ne va pas de soi. En effet, les
violences génocidaires constituent non seulement un crime
contre les droits de la personne, mais elles impliquent
également la destruction d’une population accompagnée
d’un déchaînement d’atrocités souvent inimaginables.
A
priori
, les violences génocidaires paraissent gratuites et
inexplicables. Dès lors, comment donner un sens à ce qui
semble insensé? Comment les chercheures et chercheurs
peuvent-ils et doivent-ils aborder ces « objets détestables »
que sont les phénomènes génocidaires? La question est
complexe et je n’ai pas la prétention ici d’en épuiser le sens.
Je me propose, dans le cadre de ce court texte, de présenter
la manière dont j’ai tenté de relever certains des défis que
présente pour l’histoire l’étude des génocides et, plus
particulièrement, le génocide des Arméniens.
Les phénomènes génocidaires interrogent les cadres
conceptuels et les méthodes propres aux sciences
humaines. Par leur complexité même, l’étude de ces
phénomènes profite d’une approche multidisciplinaire. Ainsi,
depuis le début de mes recherches, j’ai choisi de collaborer
étroitement avec des collègues issus d’autres champs
disciplinaires que l’histoire : la linguistique, l’étude des
médias et la science politique. La mise en commun de nos
approches et de nos questionnements sur ces expériences
limites que sont les génocides a favorisé la réflexion autour
des problèmes épistémologiques et méthodologiques
auxquels les chercheures et chercheurs de toutes disciplines
sont confrontés. En tant que chercheure principale, les
travaux menés avec mes collègues ont permis d’aborder les
problèmes liés à l’utilisation des témoignages comme
sources premières sur les génocides. Nous nous sommes
aussi intéressés au rôle des médias dans le cadre de la
connaissance historique de l’événement. Nos études ont
également privilégié les enjeux mémoriels liés à la
reconnaissance du crime de génocide commis contre les
Arméniens, crime toujours nié par la Turquie.
Finalement, nous avons questionné les usages du
passé dans les constructions identitaires de la com-
munauté arménienne en diaspora. Grâce au
financement de la Faculté des études supérieures et
de la recherche et du Conseil de recherche en
sciences humaines du Canada, nos recherches ont
donné lieu à une diffusion scientifique soutenue.
Deux ouvrages collectifs sont parus récemment :
1. Joceline Chabot, Richard Godin, Stefanie Kappler
et Sylvia Kasparian (sous la dir.) (2015),
Mass Media
and the Genocide of the Armenians
, Londres,
Palgrave Macmillan.
2. Joceline Chabot, Marie-Michèle Doucet, Sylvia
Kasparian et Jean-François Thibault (sous la dir.)
(2017),
Le génocide des Arméniens. Représenta-
tions, traces, mémoires
, Paris et Québec, Éditions
Hermann et Presses de l’Université Laval.
Plusieurs articles ont été publiés au Canada, en
Europe et aux États-Unis. Actuellement, mes
recherches s’orientent vers l’étude de la période
post-génocidaire en Asie Mineure et, plus particu-
lièrement, la question de l’aide humanitaire aux
réfugiés et aux orphelins arméniens et grecs au
lendemain de la Première Guerre mondiale. Encore
une fois, il s’agit d’une recherche multidisciplinaire
pour laquelle je profite de la collaboration de
collègues issus de plusieurs disciplines dont les
compétences stimuleront et enrichiront les
réflexions autour de ce nouvel objet d’étude.
Les violences génocidaires à l ’épreuve des savoirs
Joceline
C
habot
9
L i a i s o n s
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