LIAISONS no 3 Février 2019 - page 3

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L i a i s o n s
L
a recherche – incluant les travaux de développement,
de création et d’innovation (RDCI) – constitue l’un des
piliers fondamentaux des universités contemporaines.
En fait, et de manière parfois bien plus significative
même que les fonctions d’enseignement ou de services
à la collectivité, les fonctions de RDCI sont aujourd’hui
au cœur de l’identité que cherchent à cultiver les
universités et de l’image publique qu’elles souhaitent se
donner et projeter. Question de statut, cela ne fait pas le
moindre doute. Mais, et c’est peut-être justement là que
le bât blesse, cette fonction est fondamentalement
mesurée en termes quantitatifs : soit par le nombre et le
montant des subventions de recherche provenant
d’organismes faisant appel à des comités de pairs; soit
par le nombre de publications arbitrées; soit encore par
le nombre de programmes de formation aux cycles
supérieurs et de diplômes de maîtrise et de doctorat
attribués chaque année.
Nulle surprise dans ce contexte à ce que les universités
tiennent un discours officiel sur la RDCI dont les finalités
apparaissent prescriptives dans la mesure où il s’agit
d’augmenter la performance des indicateurs qui sont
utilisés pour l’apprécier. S’il n’y a bien entendu aucun mal
à tenir un tel discours et à effectivement souhaiter que
les efforts en matière de RDCI soient accentués, et cela
s’applique certainement à la Faculté des arts et des
sciences sociales, il faut toutefois prendre garde à deux
sources de tensions. D’une part, il ne faut pas masquer le
fait que sous le couvert d’un discours uniforme sur la
RDCI, ce sont des pratiques disciplinaires particulières –
celles des sciences dites naturelles – qui en viennent à
subrepticement imposer leurs critères. D’autre part, il ne
faut pas non plus sous-estimer le fait qu’un tel discours
tend à canaliser les efforts vers l’augmentation du
financement de la RDCI et vers l’augmentation du
nombre de publications sans réel égard pour d’autres
considérations telles la nature, la valeur ou la pertinence
des connaissances produites. Dans ce contexte,
plus
,
c’est par définition (presque toujours)
mieux
et on en
vient à faire de la recherche pour faire de la recherche!
Au-delà des effets pervers que ce discours peut induire –
mentionnons simplement ici les trois fléaux que
représente aujourd’hui l’essor phénoménal des revues
prédatrices, l’augmentation des cas d’inconduite
scientifique et l’usage de plus en plus répandu des outils
bibliométriques qui orientent les pratiques de recherche
en fonction des critères privilégiés par ces outils –, ce qui
change également, c’est la culture de la RDCI. Cessant
d’être orientée vers le développement et l’avancement
des idées et des connaissances en soi, cette culture
apparaît parfois guidée par un souci de pur rendement.
Dès lors, les idées et les connaissances deviennent une
marchandise comme n’importe quelle autre qu’il s’agit
de parvenir à produire le plus vite possible afin de
pouvoir l’écouler aussi rapidement que possible –
c’est-à-dire la publier – et ainsi générer un profit pouvant
quant à lui être converti sous différentes formes (prestige,
citations, reconnaissances, promotions, subventions,
privilèges, etc.).
En sciences humaines et sociales, dans les disciplines
artistiques ainsi que dans de nombreuses branches de
connaissances au sein desquelles la ligne de front séparant le
connu de l’inconnu est bien plus difficile et parfois même
impossible à tracer avec précision, la prédominance d’une telle
culture est catastrophique, car elle tend à opérer comme des
œillères (ontologique, épistémologique et normative) sur la tête
d’un cheval de trait. C’est que la plupart des « objets » de la
RDCI dans ces disciplines portent sur des mentalités, des
perceptions, des représentations, des habitudes et des
pratiques qui sont celles d’individus et de collectivités qui
produisent et reproduisent, sans parfois même le savoir ou le
comprendre, le monde que nous habitons. Or, contrairement aux
objets des sciences naturelles qui demeurent souvent plus
facilement contrôlables de manière expérimentale, non
seulement les objets propres aux connaissances humaines,
sociales et artistiques ne sont observables, vérifiables et/ou
mesurables que sur le long ou très long terme, mais leur
« réalité » dépend par ailleurs étroitement de la manière dont les
individus et les collectivités vont ensuite se l’approprier et la
traduire dans une praxis qui ne repose presque jamais sur des
certitudes et qui ne correspond presque jamais non plus aux
fruits d’une démonstration qui ne laisserait guère subsister de
doute.
Malheureusement, les œillères que la culture contemporaine de
la RDCI impose tendent à privilégier les travaux qui sont à même
de faire une telle démonstration et de mettre clairement (et
rapidement) en évidence leurs « résultats » concrets. Le temps
de la recherche qui est par ailleurs bien accepté dans les
sciences naturelles – par exemple les années de recherche
fondamentale dans un laboratoire bien financé qui débouchera
éventuellement, mais des années plus tard seulement, sur une
découverte importante en matière de prévention du cancer – est
très rarement autorisé dans les disciplines humaines, sociales et
artistiques dont on souhaite qu’elles produisent des résultats et
des solutions rapides et, bien entendu, à moindre coût puisque
le financement est bien moindre. À quand, par exemple, un
laboratoire véritablement interdisciplinaire sur les inégalités
disposant de fonds suffisants pour permettre à des dizaines de
chercheures et chercheurs provenant de divers horizons de
réfléchir sur cette thématique et d’explorer diverses pistes avec
toute la curiosité nécessaire et sans craindre d’avoir des
comptes à rendre dès les premières années sous peine de
perdre leur (par ailleurs généralement très maigre) financement?
Bien entendu, le portrait est ici brossé à gros traits et frôle la
caricature. Il va de soi que la situation ne peut être uniquement
incombée à cette culture contemporaine et aux pratiques
dominantes qu’elle tend à privilégier. Du côté des disciplines
humaines, sociales et artistiques, il faudra en effet aussi, un jour
ou l’autre, et le plus tôt sera le mieux, cesser de se cacher
derrière nos « différences », quelles qu’elles soient, se réveiller
de notre « sommeil dogmatique » et prendre enfin acte des
transformations majeures qui secouent aujourd’hui le monde
universitaire, y compris celui de la RDCI, en faisant connaître et
valoir l’importance de la contribution que ces disciplines
peuvent apporter. Cet effort, c’est à nous de le faire.
Jean-François
T
hibault
Doyen de la Faculté des arts et des sciences sociales
Mot du doyen
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