Migration et relations interraciales. Les Noirs américains de Gary, Indiana, 1906-1920
Directeur : Bruno RAMIREZ
Institution : Université de Montréal
Département : Histoire
Date : 30 août 1996
SOMMAIRE
À partir du récit des Noirs de Gary, en Indiana, ma thèse de doctorat veut montrer deux phénomènes: la nature des sentiers de la liberté à la base de l'identité de race et de classe d'une génération de migrants, et l'influence des traditions sur la culture matérielle et sociale d'une population « en mouvement ». Indissociable d'un cadre chronologique qui déborde l'arrivée dans une ville, cette recherche a été construite à partir d'une conception large de la migration. Jalonnant tout le propos, elle a servi à exposer deux dimensions fondamentales et interreliées de l'expérience du peuple noir depuis l'Émancipation: le travail et l'éducation. Plutôt que de chercher à comprendre les stratégies élaborées par les migrants de Gary exclusivement à partir de leur milieu de destination, j'ai utilisé les traditions ouvrières et celles en rapport à l'instruction pour situer dans sa complexité le comportement des Noirs dans la « cité magique ». En jumelant ces traditions à l'influence du contexte local, l'analyse des comportements des migrants mena tout droit à l'identification de traits de mentalité, une perspective qui, de toute évidence, permettait d'enrichir la représentation historique des protagonistes.
Le rapport qui existe entre le Sud, la migration et l'expérience des Noirs de Gary, est établi à l'aide de quatre catégories de sources: les événements d'énumération, les documents gouvernementaux, les sources de droit et les archives informatisées de l'Inter-university Consortium for Political and Social Research (ICPSR). J'ai utilisé ces documents parce qu'ils mènent autant sur le territoire des relations interraciales que dans celui des rapports de classe; autant au niveau des élites qu'à celui des « gens ordinaires »; autant au cœur de la vie publique qu'à l'intérieur des vies privées. Dans un panorama historique aussi large, le choix de la population à l'étude fut déterminant. En portant mon attention sur les Noirs établis à Gary pendant les années 1906-1920, j'ai voulu mettre en évidence que la famille était au cœur des projets d'exode et que les centres urbains de moindre envergure avaient eux aussi leur place dans le récit de la Grande Migration.
Dans les États du Sud depuis la guerre de Sécession, mon attention fut dirigée vers le Tennessee et l'Alabama. Comme foyers d'exode, comme laboratoires de l'économie du « nouveau Sud » et comme carrefours de la vitalité intellectuelle afro-américaine, ces deux États étaient les plus représentatifs. Dans ces deux États, les Blancs ont cherché pendant plus de cinquante ans à « contrôler » les Noirs sur le plan économique, social et politique. Le refus d'accepter une subordination à une race et à une classe fut notamment exprimé dans la migration et l'éducation. Par le biais de ces questions, j'ai été en mesure d'observer le sens et la portée de l'autonomie dans l'action des Noirs. En exerçant une liberté qui leur avait conféré le droit de vendre leur force de travail, les Noirs ont élargi leurs horizons politiques et sociaux. À travers l'éducation, ils ont tenté d'échapper à leur condition de pauvreté. Les limites imposées par l'État dans le financement de l'enseignement et la promotion de l'éducation « industrielle » retardèrent les progrès des Noirs dans ce domaine. Elles ne réussirent cependant pas à annihiler la soif de connaissances des Noirs. Les stratégies élaborées dans le contexte du « besoin » montraient en effet que les Noirs du Sud n'avaient pas renoncé à faire éduquer leurs enfants. À ce niveau, les rapprochements avec les familles migrantes de Gary étaient évidents.
L'initiative des familles dans le contexte de la migration fut observée à travers la « malléabilité » du groupe domestique. Si les choix permettaient, dans certains cas, de « joindre les deux bouts », les stratégies à court terme plaçaient la famille devant la nécessité d'élargir la nature de leur intervention dans le contexte de la migration. À Gary, l'autonomie dans l'action, comme au Sud, avait clairement ses limites.
© 1996, Nelson Ouellet. Tous droits réservés.