Le Prisme - Décembre 2014 No14 - page 8

Décembre 2014 No 14
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Et si le travail d’un biologiste revenait
à repousser les limites de nos
capacités de suivi et de protection
de la faune ? C’est exactement l’un
des buts que l’on peut viser après
une formation en biologie. Bien
sûr la maîtrise de nombreux outils,
parfois sophistiqués, peut être
nécessaire, mais deux choses sont
essentielles : la passion et la volonté
de rendre accessibles ses nouvelles
connaissances.
Il est possible d’illustrer ces points
en utilisant un exemple, celui d’un
effort récent de Nicolas Lecomte
(professeur au Département de biologie
de l’Université de Moncton et titulaire
de la Chaire de recherche du Canada
en écologie polaire et boréale) et de ses
collaboratrices et collaborateurs afin de
suivre les populations d’ours polaires
dans des régions arctiques où les coûts de
suivi sont énormes et l’accès limité. En
fait, l’équipe de recherche en est venue à
l’idée de faire un jeu qui revenait au jeu
« Où est Charlie », en utilisant des
photos satellites à haute résolution
(0,60 m de résolution) de secteurs
arctiques où ils savaient que les ours
polaires étaient nombreux. Comme
ces ours sont les plus grands carnivores
terrestres (2 à 3 m de long !), ils
pouvaient théoriquement être détectés
avec ces photos satellites. Toutefois,
puisque dans ce paysage arctique il est
tout de même possible de confondre
des grosses roches blanches avec des
ours, les chercheures et chercheurs ont
acquis deux séries de photos satellites
à deux semaines d’intervalle : tout ce
qui ressemblait à un ours mais qui
disparaissait ou bougeait dans la photo
suivante était bel et bien un ours !
Voir Figure 1.
Pour être sûrs de leur coup, les
chercheures et chercheurs ont effectué
l’inventaire des ours entre les deux séries
de photos, et ce, sur la même zone
d’étude, en utilisant des techniques
dites plus classiques, soit un comptage
par hélicoptère. Après avoir compté les
ours avec ces deux outils (hélicoptère et
satellite), les chercheures et chercheurs
ne pouvaient en croire leurs yeux… À
quelques ours près, les deux méthodes
donnaient des résultats similaires !
Cela ouvrait donc la voie à l’utilisation
des satellites pour suivre les changements
dans les populations d’ours, et ce, sans le
coût exorbitant des vols en hélicoptère
ni le dérangement possible que le bruit
des moteurs pourrait occasionner. Par
contre, il est impossible de savoir, à
partir des images satellites, si un ours
est accompagné d’un ourson comme
sur la
Figure 2
, ou de connaître leur
âge et leur sexe. Malheureusement,
ces informations sont souvent très
importantes pour mieux comprendre
les causes de changements dans les
populations animales en général. Au
vu des coûts énormes des hélicoptères
dans le Nord, les très grandes distances
et l’éloignement de ces régions, il est
impossible de couvrir fréquemment
l’ensemble du territoire. En fait, certaines
populations d’ours ne sont bien souvent
comptées que tous les cinq ou dix ans, ou
pire, pour ainsi dire jamais, si la météo
et les moyens ne suivent pas. C’est là
qu’entrent en jeu les images satellites :
elles sont peu coûteuses, faciles d’accès et
couvrent n’importe quel territoire.
Ce qui, au départ, n’était qu’un simple
jeu et une idée qui paraissait impossible,
est devenu rapidement un moyen sûr
de compléter nos outils de suivis de
populations animales et aussi d’attirer de
nouvelles personnes intéressées par des
approches innovatrices, car celle-ci est
facile d’accès et permet de communiquer
facilement et rapidement le travail des
biologistes.
Compter les ours polaires
depuis l’espace
Note : Ces travaux ont été
publiés dans la revue PLoS ONE
et vous pouvez lire l’article en
tapant doi:10.1371/journal.
pone.0101513 dans votre moteur
de recherche. La référence
complète est la suivante :
Stapleton S, LaRue M, Lecomte
N, Atkinson S, Garshelis D, et al.
(2014) Polar Bears from Space:
Assessing Satellite Imagery as a
Tool to Track Arctic Wildlife. PLoS
ONE 9(7): e101513.
Nicholas Lecomte 2014
Figure 1
Figure 2
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