Le Prisme - Décembre 2015 No15 - page 3

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La mécanique quantique au service
de la cryptographie
Lorsque Edward Snowden a
révélé au monde entier l’ampleur
de l’espionnage effectué par le
gouvernement américain auprès de
ses propres citoyens au travers de
la National Security Agency (NSA),
le grand public a rapidement pris
conscience de la nécessité d’avoir
des méthodes de communication
sûres, impossibles à intercepter.
L’étude des moyens de protection
de messages confidentiels s’appelle
la cryptographie, une science qui est
intimement liée aux mathématiques
et à l’informatique. Or, il s’avère
qu’une autre science, la physique,
offre une solution attrayante aux
problèmes de la cryptographie
moderne.
Lorsque vous effectuez une transaction
bancaire sur Internet, ou bien
lorsque vous cryptez un fichier sur
le disque dur de votre ordinateur,
votre information est protégée par
un algorithme qui vise à rendre vos
données incompréhensibles pour toute
tierce partie. Or, ces algorithmes ne
sont pas parfaits ; bien qu’ils puissent
rendre la tâche de déchiffrer votre
information très ardue, celle-ci n’est
certainement pas impossible. Ainsi,
avec assez de temps et d’argent, il
est en principe toujours possible de
décoder ces informations, d’où la
nécessité de développer des méthodes
de cryptage avec une sécurité absolue.
Pour comprendre comment la
physique pourrait aider à envoyer
des messages secrets, il faut faire
appel à des concepts de mécanique
quantique, la branche de la physique
qui s’intéresse au très petit. C’est cette
théorie qui explique le comportement
des composantes de la matière, les
atomes, et des composantes de la
lumière, les photons.
D’après la mécanique quantique,
ces particules ont des propriétés très
différentes de celles des objets que
l’on observe tous les jours. Parmi
ces propriétés qui peuvent sembler
étranges, on trouve le théorème de
l’impossibilité du clonage quantique.
Selon ce principe, il est impossible de
faire une copie identique d’un système
quantique. C’est une limite que nous
ne vivons pas dans notre vie de tous les
jours : il est, par exemple, absolument
possible de copier un livre en entier
mot pour mot sans faire d’erreurs,
ou de faire une copie parfaite d’un
fichier électronique. Mais à l’échelle
quantique, toute mesure d’une
particule entraîne une perturbation
irréversible, ce qui empêche la création
d’une copie identique.
Cette impossibilité de copier
parfaitement des particules quantiques
ouvre la porte à un nouveau type
de cryptage. En effet, en utilisant
un système quantique pour encoder
de l’information, il est possible
d’envoyer des messages de manière
absolument sécuritaire. Toute
tentative d’interception du message
engendrerait une perturbation de la
communication, avertissant par le fait
même les utilisatrices et utilisateurs
que leur lien est possiblement
compromis. Ce type de cryptage,
appelé cryptographie quantique,
suscite actuellement un grand
intérêt chez les organisations qui
accordent une grande importance à la
sécurité. C’est le cas notamment des
institutions financières pour lesquelles
la confidentialité des transactions est
primordiale.
Déjà, des compagnies commencent
à vendre des systèmes commerciaux
de cryptographie quantique basés sur
l’envoi de photons dans des réseaux
de fibres optiques. Ces systèmes sont
cependant limités à des distances de
quelques centaines de kilomètres, en
raison de l’absorption des photons
par les fibres optiques. Plusieurs
chercheurs essayent donc maintenant
de réaliser des répéteurs quantiques,
qui permettraient d’amplifier un
système quantique, et donc d’étendre
la portée de la cryptographie
quantique. D’autres essayent plutôt
d’utiliser des satellites comme station
de relais pour permettre d’utiliser la
cryptographie quantique entre des
points éloignés de la planète. C’est le
cas notamment d’une équipe basée
à Waterloo en Ontario, dont fait
partie Jean-Philippe Bourgoin, un
diplômé de notre Département de
physique et d’astronomie. De plus, à
l’Université de Moncton une équipe
de recherche travaille actuellement sur
la conception de nouvelles sources de
photons qui pourraient être utilisées
pour améliorer certaines applications
de la cryptographie quantique. En
particulier, le professeur Deny Hamel,
embauché récemment, œuvre sur le
développement des sources de lumière
quantique.
Les avancées dans le domaine de
la cryptographie quantique sont
très prometteuses. Bientôt il sera
possible qu’un principe fondamental
de la mécanique quantique soit
utilisé pour protéger toutes nos
communications électroniques allant
de nos transactions financières à nos
services de messagerie instantanée,
montrant encore une fois que la
recherche scientifique fondamentale
mène bien souvent à des débouchés
technologiques difficiles à prévoir.
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