Bulletin de l'alUMni - page 7

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Vous avez reçu de nombreuses distinctions
tout au long de votre carrière d’écrivaine.
Que représente cet hommage que vous rend
votre alma mater?
Je suis certainement sensible au fait que cet
honneur m’est conféré par des compagnes et
compagnons de route, en dépit du fait que
mon travail est passablement solitaire. J’estime
aussi que des centaines de personnes en ont
sûrement fait autant, sinon plus que moi, et
j’accepte cette reconnaissance en leurs noms
aussi. C’est toujours gratifiant d’être reconnue
par les siens.
Quels souvenirs gardez-vous de votre passage
comme étudiante à l’Université de Moncton?
Pour moi qui ai grandi à Dieppe et à Moncton,
fréquenter l’Université de Moncton allait de
soi, ne serait-ce que parce qu’elle répondait
à un besoin d’appartenance. Je me souviens
que j’allais souvent aux parties de hockey des
Aigles Bleus. En fait, c’était les débuts de la
vidéo et j’avais décroché un petit boulot à
filmer les parties de l’équipe. Je garde de
bons souvenirs de mon passage à
l’Université de Moncton, mais je suis loin
d’avoir fait mon baccalauréat de façon
linéaire; il y a eu des bifurcations. Après ma
première année universitaire, je suis allée
étudier en photo et en cinéma à Ryerson, à
Toronto. Après, j’ai travaillé plus d’un an à
L’Évangéline, avant de reprendre mes études
à l’Université de Moncton. Bref, à un moment
donné, j’en suis même venue à me demander
si j’avais vraiment achevé mon baccalauréat
(rires).
Lorsque vous avez entrepris vos études en
littérature à l’Université de Moncton, est-ce
que le goût d’écrire germait déjà en vous?
Cela faisait partie des possibilités, mais il
était difficile de savoir quelle forme cela
allait prendre. J’écrivais de petits textes
poétiques, mais je voulais aussi acquérir des
connaissances générales. Le début des années
1970 ne manquait pas de piquant. À l’époque,
j’étais très nourrie par les textes de Cohen, de
Dylan et de nombreux autres. Le cinéma aussi
s’imposait. D’une certaine manière, mon désir
d’écrire était lié à ces univers. Le langage, les
mots commençaient à devenir importants en
eux-mêmes.
Est-ce que devenir écrivaine a été une décision
consciente? À quel moment le déclic s’est-il
fait?
Je pense que j’ai toujours su que j’écrirais, car
l’écriture pour moi était intimement liée à une
sorte de liberté, liberté de mouvement et de
pensée. Mais il n’était pas évident de trouver
son style ni quoi raconter. L’envie d’écrire me
venait souvent et naturellement, mais c’était
aussi très exploratoire. Un jour, alors que je
venais d’entreprendre une licence en lettres à
Aix-en-Provence, je me souviens avoir ressenti
un trop-plein de théories littéraires; mon
temps pour passer à l’écriture était arrivé.
J’ai tout de même mis un certain temps à
partager avec les autres ce que j’écrivais.
Raoul Boudreau et Annette Boudreau, qui
enseignaient à l’Université de Moncton, ont
probablement été les premiers lecteurs de mon
roman Sans jamais parler du vent, publié aux
Éditions d’Acadie en 1983.
Il n’y a pas tellement longtemps que je peux
honnêtement me dire et me sentir écrivain.
Pendant longtemps, même après avoir publié
un certain nombre de titres, je n’étais pas
convaincue d’avoir la largeur et la profondeur
de vue nécessaires. Mais il y a toutes sortes
d’écrivains alors, au fil du temps et des
nouvelles publications, des bonnes critiques et
des prix, j’ai fini par me rendre à l’évidence et
par accepter cette désignation.
Vous avez été journaliste à L’Évangéline et à
Radio-Canada Acadie. Quelle a été l’incidence
de l’écriture journalistique sur votre écriture
romanesque?
L’écriture journalistique, dans sa forme épurée,
m’a toujours convenu. Lorsque j’écris des
romans, c’est avec cette langue sans trop de
fioritures que je travaille. L’outil est le même,
c’est la latitude et le propos qui changent.
D’où vous vient votre amour de la langue
française?
La langue française était très valorisée chez
nous. Mon père était un ardent francophone
et francophile. Il avait la France dans le cœur.
C’était important pour lui qu’on apprenne
à apprécier la langue, à bien la parler et à
bien l’écrire. Cela faisait partie de notre
environnement. Mon père aimait écrire et je
crois que nous, les enfants, avons été marqué
par cela, à différent degrés.
À un certain moment de votre parcours
littéraire, vous avez intégré le chiac dans vos
romans. Néanmoins, vous avez toujours affirmé
que vous ne vous portiez pas à sa défense.
Quel rapport entretenez-vous avec le chiac?
Le chiac est un parler régional qui témoigne
des aléas de notre histoire. Il n’y a pas de
raison de cacher cela, ni d’en avoir honte. Ce
français gorgé d’expressions anglaises est très
malléable, ce qui le rend attractif. Il s’agit
d’un phénomène langagier intéressant dans
la mesure où nous assurons nos arrières en
maitrisant le français. J’ai l’impression de faire
vieux jeu en disant cela, mais quelque part, on
ne peut pas éternellement se rire du français et
s’étonner, par la suite, quand cela nous joue de
mauvais tours.
Vous êtes une personne très discrète, pourtant,
devenir écrivaine, c’est un peu devenir un
personnage public. Comment conciliez-vous
ces deux aspects de votre vie?
La plupart du temps, cela se gère très bien. Il
ne faut rien exagérer, je suis « minimalement »
publique. Je ne suis pas Stephen King après
tout.
Vous signez une chronique hebdomadaire dans
L’Acadie Nouvelle, dans laquelle vous abordez
des thèmes variés. Que représente pour vous
cette tribune ? Est-ce important de participer
au débat public en Acadie?
Je n’aurais jamais pensé qu’un jour je tiendrais
une chronique dans L’Acadie Nouvelle.
Lorsqu’on me l’a offerte, j’ai vu cela comme
un nouveau défi. Parfois mes sujets sont plutôt
anodins, parfois j’essaye d’attirer l’attention
sur des situations problématiques. Mais je
ne désire pas toujours susciter la controverse.
J’aime faire parler les situations ordinaires,
élégamment si possible. J’aimerais que mes
écrits aient une sorte de pertinence. Et j’aime
l’idée de rejoindre les lecteurs chez eux, chaque
semaine. C’est littérairement satisfaisant.
Avez-vous un autre projet d’écriture en cours?
J’ai un projet en développement et j’ai
confiance de m’y mettre sérieusement cette
année. Si je suis sage, d’ici un an ou deux, il
devrait sortir quelque chose.
« Je pense que
j’ai toujours su
que j’écrirais, car
l’écriture pour moi
était intimement
liée à une sorte
de liberté, liberté
de mouvement et
de pensée. »
ENTRETIENS
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