Page 6 - Prisme 2013

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La théorie des cordes (enfin) appliquée
En exploitant une correspondance
entre la théorie des cordes et la
chromodynamique quantique,
Ruben Sandapen, chargé de cours
au Département de physique et
d’astronomie, a calculé le taux de
production de mésons dans les
collisions électron-proton à très
haute énergie. Les résultats de cette
recherche menée par le professeur
Sandapen en collaboration avec Jeff
Forshaw, professeur de physique
théorique à l’université de Manchester
en Grande-Bretagne, viennent d’être
publiés dans Physical Review Letters,
un des plus prestigieux journaux en
physique, tous domaines confondus.
Le noyau atomique est constitué de
protons et neutrons. Chaque proton ou
neutron est constitué de trois quarks.
Outre ces assemblages de trois quarks,
on observe aussi dans la nature, des
assemblages éphémères d’un quark et
d’un antiquark qu’on nomme mésons.
Expérimentalement, le méson est
susceptible d’être produit dans des
collisions entre un électron et un proton
(au collisionneur HERA en Allemagne)
ou encore entre deux protons comme
c’est le cas au Large Hadron Collider
(LHC) situé au CERN, l’organisation
européenne pour la recherche nucléaire.
La production d’un méson lors
d’une collision est une illustration de
l’équivalence masse-énergie d’Einstein,
une partie de l’énergie cinétique
des particules qui collisionnent se
matérialisant sous la forme d’un méson.
Afin de calculer le taux de production
des mésons dans ces collisions, il faut
modéliser l’interaction forte qui lie les
quarks dans un méson. L’interaction
forte est une des quatre interactions
fondamentales de la nature, les trois
autres étant l’interaction faible,
l’interaction électromagnétique et la
gravité. Les trois premières interactions
sont décrites dans un même cadre
théorique qu’on appelle le modèle
standard. Le succès de ce modèle est
incontestable surtout avec la récente
découverte, en juillet 2012 au LHC,
d’une particule qui ressemble fortement
au boson de Higgs requis par le
modèle standard. Toutes les particules
élémentaires du modèle standard
évoluent dans l’espace-temps plat à
quatre dimensions en obéissant aux
lois de la mécanique quantique et de
la relativité. Mais le modèle standard
n’inclut pas l’interaction gravitationnelle.
Cette dernière est décrite par la relativité
générale d’Einstein, où un objet se meut
selon la géométrie de l’espace-temps
dont il détermine la courbure. Le plus
grand défi de la physique contemporaine
est de réaliser le mariage de la relativité
générale et du modèle standard, c’est-à-
dire établir un cadre théorique unique
pour les quatre interactions de la nature.
Une des candidates pour cette théorie
« de tout » est la théorie des cordes où
les entités élémentaires ne sont pas des
particules mais des cordes. La théorie des
cordes requiert l’espace-temps courbe de
la relativité générale avec des dimensions
spatiales supplémentaires aux trois qu’on
connaît. C’est dans ces dimensions
spatiales « cachées » que vibrent les
cordes.
L’interaction forte est de loin la plus
intense des quatre interactions de la
nature et la seule qui possède l’étrange
propriété d’augmenter en intensité
lorsque la distance entre les quarks
augmente. Conséquemment, les quarks
sont en permanence confinés dans les
hadrons. Par contre, lorsque les quarks
sont très proches, l’interaction forte
s’affaiblit drastiquement si bien que
les quarks se comportent comme étant
quasiment libres. Prisonniers à l’intérieur
d’un hadron, les quarks peuvent donc
quand même jouir d’une forme de
liberté qui porte le joli nom de liberté
asymptotique. La théorie moderne de
l’interaction forte entre les quarks est la
chromodynamique quantique (CDQ).
Cette théorie est prédictive et elle est
bien testée expérimentalement lorsque
les quarks sont en liberté asymptotique.
Par contre, lorsque le couplage entre les
quarks est fort, les équations de la CDQ
n’admettent pas de solutions analytiques.
On doit alors avoir recours à une version
approximative de la CQD (dite CDQ
sur réseau) qui requiert une énorme
puissance de calcul numérique. Ainsi, la
CDQ, théorie de l’interaction forte, est
rigoureusement testée surtout lorsque
l’interaction est… faible!
Depuis quelques années, les chercheures
et les chercheurs explorent une autre
piste pour appréhender l’interaction
forte lorsqu’elle est justement forte. Il
s’agit d’exploiter une correspondance
entre une théorie de cordes dans un
espace-temps courbe à cinq dimensions
et une version approximative de la
CDQ. Les deux théories contiennent la
même information encodée dans deux
formalismes mathématiques distincts. Un
« dictionnaire » permet de passer d’une
Décembre 2012 No 12
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