LIAISONS Vo 1 no 1 Juin 2017 - page 4

Transformer la culture universitaire sans la travestir
Les institutions universitaires sont aujourd’hui en pleine mutation et l’Université de Moncton ne fait pas excep-
tion. C’est bien évidemment un truisme que de le réaffirmer encore une fois ici. Après tout, n’est-ce pas précisé-
ment ce que l’on se (et nous) répète
ad nauseam
depuis des décennies maintenant, sans toutefois que les muta-
tions dont il est question soient toujours si manifestes?
Pour une part, la raison tient à ce que ces mutations sont survenues de manière graduelle et sans bouleverse-
ment révolutionnaire. Au fond, rien n’a complètement changé, mais rien n’est plus non plus tout à fait le même.
Pour emprunter une formule gramscienne, nous flottons entre une ancienne université, qui n’existe plus tout à
fait de la même manière qu’avant, et une nouvelle université dont les grandes orientations, sa nature et son rôle
notamment, ne sont toutefois pas encore très nettement définies. C’est donc plongés dans les eaux troubles de
cet entre-deux qu’il nous faut aujourd’hui réfléchir au futur de la Faculté des arts et des sciences sociales, des
disciplines qu’elle accueille et des programmes qu’elle héberge. Toutefois, cette réflexion doit aujourd’hui se
faire à froid, dans un contexte qui nous force trop souvent la main, mais que nous avons par ailleurs
nous-mêmes contribué à entretenir en refusant de prendre la véritable mesure des bouleversements survenus
au sein de la société et de leurs effets possibles sur l’institution.
C’est pourquoi il importe plus que jamais aujourd’hui de ne pas plus céder aux chantres de l’immobilisme, pour
qui l’université ne saurait être autre que ce qu’elle a été, qu’aux bardes d’une transformation en profondeur pour
qui, au contraire, tout devrait être sacrifié sur l’autel d’une adaptation stratégique aux lois du marché. Entre la
nostalgie romantique et la marchandisation du diplôme, la tâche à notre niveau, c’est-à-dire en tant que mem-
bres d’une communauté facultaire, est désormais de repenser la place qu’occupe la Faculté dans la société et
par extension au sein d’une institution qui est elle-même, assez tardivement d’ailleurs, et pour cette raison
malheureusement dans l’urgence, en train de repenser sa nature, son rôle et au fond ses grandes orientations.
La formule pourra paraître grandiloquente, mais l’enjeu est, lâchons le mot, existentiel. L’université moderne telle
que nous la connaissons depuis deux siècles est en ruine. Le diagnostic est celui de Bill Readings (
Dans les
ruines de l’université
, 2013 [1997]) et son analyse mérite que l’on s’y attarde. Pour Readings, cette université
moderne était étroitement associée au développement de l’État-nation et à la formation d’une culture nationale,
elle-même devenue, depuis la Seconde Guerre mondiale, une culture de masse. Or, la mutation contemporaine
des universités doit selon lui être appréciée à la lumière du déclin de la place occupée par cet État-nation et par
la construction d’une telle culture nationale.
La conséquence directe est double. D’un côté, l’université contemporaine ne peut plus reposer de la même
manière qu’avant sur un récit référentiel ou un principe directeur fondant ses grandes orientations. De l’autre
côté, et du fait même de cette première conséquence, les membres de cette université doivent réapprendre à
vivre et à habiter les vestiges en cultivant une forme de pragmatisme institutionnel. Ce pragmatisme ne devrait
pas signifier se plier à tous les caprices du moment, mais il devrait d’abord nous permettre de ne pas sombrer
dans une nostalgie qui condamnerait l’université à n’être plus que l’ombre de ce qu’elle aura été. Ce pragma-
tisme pourrait ensuite s’avérer déterminant si l’objectif demeure toujours de chercher, avec toute la lucidité
nécessaire, à préserver un équilibre entre les deux grandes fonctions de savoir et de service qui ont éclairé la
nature et le rôle de l’université. Enfin, un tel pragmatisme pourrait également nous permettre de prendre une
certaine distance face à la conviction largement partagée que nous serions, professeures et professeurs, les
principaux gardiens d’un monde désincarné subissant passivement les assauts de forces extérieures, et d’as-
sumer un peu plus clairement que nous sommes nous-mêmes en partie responsables d’un état des choses qui
apparaît passablement désolant, certes, mais qui demeure néanmoins bien réel.
La Faculté a une longue histoire dont elle doit être fière et qu’elle doit aujourd’hui s’efforcer de projeter vers l’ave-
nir en faisant preuve de la même audace que celles et ceux qui l’ont d’abord construite, puis de celles et ceux
qui l’ont ensuite développée et fait évoluer. Notre tâche et notre responsabilité consistent au cours des
prochaines années à réfléchir à une Faculté et à une Université dont les générations futures pourront dire qu’elles
ont l’une comme l’autre été à la hauteur des défis qu’il s’agissait alors de relever.
Jean-François Thibault
Doyen de la Faculté des arts et des sciences sociales
Mot du doyen
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