Bulletin des diplômées et diplômés de l'Université de Moncton - page 5

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Entretien
Déjà à cette époque, vous affichiez un
penchant pour les arts visuels.
La première exposition qui a eu lieu à
l’Université Saint-Joseph, c’est moi qui
l’ai organisée alors que j’étais étudiant.
Je n’étais pas peintre dans le temps,
mais j’avais des amis de l’Université qui
peignaient. L’Académie Notre-Dame du
Sacré-Cœur n’était pas bien loin et j’allais
parfois rendre visite à ma sœur qui était
religieuse au sein de la congrégation.
Au couvent, il y avait une religieuse
qui donnait des cours de dessin et de
peinture aux filles. Je l’ai rencontrée pour
lui proposer d’organiser une exposition
conjointe entre les deux institutions et
elle a trouvé l’idée magnifique. Après
avoir reçu la permission du supérieur de
l’Université, nous avons, avec l’aide des
ouvriers, monté les panneaux sur lesquels
seraient accrochés les tableaux. Dans ce
temps-là, j’avais une blonde et j’ai décidé
de faire son portrait pour l’exposition…
c’est la première peinture que j’ai faite.
L’art faisait son chemin.
On connaît bien Roméo Savoie l’artiste,
mais plusieurs seront surpris d’apprendre
que vous avez été un joueur de hockey
redoutable.
Pendant mes années à l’Université
Saint-Joseph, j’ai joué pour l’équipe des
Aigles Bleus. J’étais ailier gauche et l’un
des meilleurs marqueurs. J’étais sans
doute le plus petit de toute la ligue. Je
n’étais pas gros, mais j’étais le plus vite
(rires). Mes années de patinage dans
les marais de la région de Moncton
m’avaient bien préparé.
Avant de devenir peintre, vous avez mené
une fructueuse carrière d’architecte. Dans
quel contexte aviez-vous choisi cette
profession?
Dans la culture du temps en Acadie, une
profession dans les arts visuels n’était
pas véritablement une option. Je ne
voulais pas être médecin, avocat, homme
d’affaires. Je me demandais bien ce que
j’allais faire. Un des curés à l’Université
Saint-Joseph, le père Rossignol, avait reçu
un livre sur Dom Bello, un architecte
français, moine bénédictin, qui a
construit plusieurs édifices religieux et à
qui l’on doit la conception du dôme de
l’Oratoire Saint-Joseph. Lorsque j’ai vu
cela, je me suis dit, c’est ce que je veux
faire. Il y a eu un déclic. Je me suis donc
inscrit en architecture à
l’École des beaux-arts de Montréal.
Au début de ma formation, j’étais un peu
perdu du côté technique, mais je dirais
que l’Université Saint-Joseph m’avait
bien préparé du côté de la pensée et du
discours.
Il y avait un foisonnement artistique
extraordinaire à Montréal. À l’heure
du dîner, j’allais visiter des galeries.
J’apportais mon sandwich et j’allais
voir les tableaux, découvrir les artistes
de l’heure. Les premiers tableaux de
Riopelle, je les ai vus. Une expérience
incroyable. Même si j’étais en
architecture, je préférais côtoyer les
artistes visuels. Je fréquentais le café
L’Échouerie, un endroit quasi mythique,
qui accueillait penseurs, musiciens,
poètes et particulièrement les artistes
visuels d’une certaine contre-culture.
C’était un environnement extraordinaire.
Est-ce que cela a été difficile de faire le saut,
de quitter votre carrière d’architecte pour
vous consacrer entièrement à la peinture?
À un moment donné, l’appel était trop
fort. J’étais fait pour être peintre. Si
ça avait été l’argent qui m’intéressait,
j’aurais pu faire une fortune en
architecture. Il y avait autre chose qui
me tiraillait : la création, l’histoire de
la beauté. L’architecture a une fonction
facile à comprendre tandis qu’en art c’est
beaucoup plus complexe. J’ai décidé de
m’y consacrer et d’en faire ma priorité.
J’ai tout appris point par point. Je n’ai
jamais regretté ma décision.
Parallèlement à votre carrière de peintre,
vous avez publié plusieurs recueils de poésie
et un roman. Votre travail d’artiste visuel
nourrit-il l’écrivain en vous ?
L’écrivain nourrit l’écrivain et l’artiste
visuel nourrit l’artiste visuel. J’ai un
cerveau compartimenté. Je travaille
dans plusieurs domaines différents avec
des énergies différentes. Il n’y a pas de
chevauchement.
Vous êtes un pionnier, le premier peintre
abstrait de l’Est du Canada. Est-ce que
cette étiquette a été stimulante ou difficile
à porter?
Je reste indifférent à tout cela. J’ai
choisi ma voie et ce qui est important
pour moi c’est d’approfondir mes
connaissances et ma démarche. Après
plus de 40 ans de pratique, je sais faire
un tableau. Mon travail consiste à
comprendre l’incompréhensible. Cela
passe par plusieurs étapes : des ratures,
des recommencements jusqu’à ce que le
tableau réponde à mes exigences. Le reste
ne m’appartient pas.
Vous avez eu une carrière artistique très
prolifique. En rétrospective, de quoi êtes-
vous le plus fier?
De faire ce que je dois faire. C’est vrai
que j’ai pris quelques détours avant
d’arriver à la peinture, mais je sais
aujourd’hui que je suis à la bonne place.
J’étais destiné à être peintre. Je ne suis
pas un guerrier, je me vois plutôt comme
un professeur. Et mon défi c’est de laisser
une œuvre qui soit conséquente pour la
culture acadienne.
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