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À quel moment avez-vous senti que votre
carrière de chanteuse prenait réellement
son envol, que vous aviez trouvé votre
voie et que ce serait votre profession?
J’ai réalisé cela il n’y a pas tellement
longtemps (rires). Ma carrière de
chanteuse a démarré rapidement. Les
spectacles s’enchaînaient et je ne me
posais pas trop de questions. Il n’y avait
rien de calculé. Je chantais et j’avais du
plaisir. Puis un jour, je me suis retrouvée
au Japon, à l’exposition universelle
d’Osaka, pour six mois. Lorsque je suis
revenue du Japon, j’ai songé à poursuivre
mes études de doctorat, mais j’ai entrepris
une tournée et ma carrière d’artiste a
poursuivi son cours. Je n’ai jamais pensé
que ce serait mon gagne-pain. Pour moi,
ce n’était pas du travail, je faisais quelque
chose que j’aimais. Il n’y a jamais eu de
grosses machines derrière moi. Lorsque
j’ai fait mon premier album, en 1973, cela
faisait déjà dix ans que je donnais des
spectacles. J’avais eu des offres pour
faire des albums aux États-Unis,
mais moi j’avais un besoin
viscéral de chanter l’Acadie,
de chanter des chansons
folkloriques acadiennes, et
je ne voyais pas comment
je pourrais faire cela en
chantant en anglais.
Le projet d’un album en
français pour le Canada
s’est alors dessiné à
l’horizon. J’ai enregistré
« Avant d’être dépaysée » et
26 autres albums ont suivi,
pratiquement au rythme
d’un par année.
Vous avez tracé la
voie à de nombreux
artistes acadiens qui,
aujourd’hui, à leur tour,
font rayonner l’Acadie.
Qu’est-ce que cela vous
inspire?
Je me sens un peu comme
la grand-mère d’une
grande famille (rires).
Lorsque j’ai commencé
dans le métier, l’Acadie
et les artistes acadiens
n’étaient pas beaucoup
connus à l’extérieur
de nos frontières. On
a travaillé fort pour
se faire connaître du
public, pour développer des marchés.
Nous devions faire notre place dans des
lieux difficiles à pénétrer, comme l’Europe
par exemple. Nous avons fait preuve de
beaucoup de persévérance.
Que pensez-vous de la relève?
J’adore, j’adore, j’adore… Je considère
ces artistes comme mes petits-enfants.
Les musiciens acadiens de la relève sont
originaux et talentueux. C’est plein de
talents extraordinaires en Acadie. Je
suis tellement fière d’eux. D’ailleurs, la
fondation de la Société professionnelle des
auteurs compositeurs du Québec décerne,
chaque année, le prix Édith Butler à un
artiste de la francophonie canadienne. Le
premier prix a été remis à Radio Radio, en
2010, à Lisa LeBlanc, en 2011 et à
Monique Poirier, en 2012.
Par vos chansons, vos spectacles, vous
avez contribué à faire connaître l’histoire
et la culture acadiennes aux quatre coins
du monde. Est-ce que ce rôle de porte-
étendard de l’Acadie a parfois été lourd à
assumer?
Non, c’était comme une seconde nature
pour moi. Ce rôle d’ambassadrice n’a
pas été lourd à porter. Par contre, ce que
j’ai trouvé difficile, c’est que certaines
personnes me reprochent de le faire. À
un moment donné, il y avait un discours
qui voulait qu’on ne soit plus Acadien, si
on vivait à l’extérieur de l’Acadie. J’habite
au Québec depuis plus de 40 ans et j’ai
toujours été Acadienne.
Quels souvenirs gardez-vous de vos
années universitaires en Acadie?
Je garde de merveilleux souvenirs
de cette période de ma vie. Elle correspond
à la découverte de tant de choses. Lorsque
je me suis retrouvée à
Notre-Dame d’Acadie, un nouvel univers
s’est ouvert à moi. J’ai découvert les grands
chanteurs de l’époque, comme
Jacques Brel, la littérature française, la
poésie, le cinéma. Ces années ont vraiment
forgé mon caractère. Nous avions des
professeurs extraordinaires. Les religieuses
étaient avant-gardistes et d’une ouverture
d’esprit incroyable. C’était des femmes
possédant une culture extraordinaire,
qui affichaient une grande fierté d’être
Acadiennes. Je me souviens, il y avait
plusieurs livres et films à l’index, mais elles
nous y donnaient accès. Elles disaient :
« L’index, c’est pour le Québec. » Il y avait
des filles de tous les coins de la province,
qui arrivaient avec leurs bagages, leurs
expressions, leurs accents. On constatait
que l’Acadie avait plusieurs visages. Ce
que je retiens, par-dessus tout, c’est que
nos professeures nous ont transmis une
force pour que l’on puisse foncer la tête
droite dans la vie. Elles nous ont formées
pour que nous soyons capables de réussir,
et surtout de réussir notre vie.
En rétrospective, de quoi êtes-vous
la plus fière?
Ce dont je suis fière, c’est d’avoir été une
bonne personne, une personne intègre.
Ce n’est pas d’avoir connu le succès ou
encore d’avoir rempli de grandes salles.
J’ai eu la chance d’avoir des parents
merveilleux, qui m’ont inculqué de belles
valeurs. Je dirais que cette attitude face
à la vie m’a également été transmise
au cours de mes années de formation
universitaire, à Moncton. Je n’ai jamais
caressé de grands rêves et j’ai essayé de
vivre au jour le jour.
Vous respirez la joie de vivre. Quel est
le secret de votre jeunesse qui semble
éternelle?
Il faut éviter de se faire du tracas plus
qu’il ne faut. Comme le dit l’expression
acadienne, il faut éviter de se faire du
« mourant ». Ma mère, qui a 90 ans
aujourd’hui et qui est rayonnante de
santé, m’a donné un conseil quand j’étais
petite. Lorsque j’avais des problèmes, elle
me disait : « Pense à un beau sapin de
Noël ». Je faisais cela et je le fais encore.
J’ai réussi à combattre deux cancers et, en
septembre, cela fera cinq ans que je suis
en rémission.
Vous avez reçu de nombreuses distinctions
très prestigieuses au cours de votre
carrière. Que représente cet hommage
que vous fait votre
alma mater
?
Je suis extrêmement touchée et honorée.
En 1964, j’ai fait partie du premier groupe
d’étudiantes et d’étudiants à recevoir un
diplôme de cette nouvelle institution
qu’était l’Université de Moncton. Mes
années de baccalauréat demeurent des
années mémorables, déterminantes. J’y ai
rencontré des personnes extraordinaires,
des amies avec lesquelles je suis demeurée
proche au fil des ans. Pour moi, la remise
de ce prix de l’AAAUM sera une occasion
de célébrer plusieurs événements : mes
70 ans, mes 50 ans de carrière, ma
rémission, bref, la vie!
« Les musiciens acadiens de la relève sont originaux et talentueux. »
Entretien